Chronique : On fait dire c’qu’on veut à la toponymie !

17 Mars 2023

Gabriel Carnévalé-Mauzan nous propose  une chronique de la toponymie (nom de lieu) de la vallée et de ses alentours. Gabriel est l’auteur de l’ouvrage « A la recherche des noms de lieux du Champsaur-Valgaudemar » enluminé par Michel Crespin (Edition de l’Imprimerie des Deux-Ponts).

Même pas mal !

Le village du Séchier possède un lieu-dit Malaussène, orthographié dans le cadastre de 1811 Malouyer. Nous ne savons pourquoi un ouyer se transforme en aussène mais il nous reste bien le préfixe mal, commun aux deux. Les toponymes en mal s’entendent faussement comme le mal, le mauvais, (malus). Non, Malmort n’est pas la mauvaise mort !

Ailleurs dans les Alpes, ce toponyme prend pour le moins des formes étrange comme Malconseil, malfiance ou encore comme à Chorges Malforce… des lieux où il ne fait pas bon prendre conseil ni de se fiancer ou de se fier ?

Il convient d’élargir le spectre et chercher une ou plusieurs autres origines possibles notamment l’historique : il faut remonter aux époques bien lointaines dont on possède peu de traces, celles des époques mérovingienne et carolingienne où se pratiquait, au printemps, le mallus soit l’assemblée de la communauté pour régler les différents, les jugements et les serments. Le mallus était le lieu de réunion de la centaine (centenarius) correspondant à l’ensemble de la communauté. Un texte synodal de 853 précise que les « mallus » doivent respecter les fêtes, même en cas d’urgence, et, notamment, usque post octavas Pasche (huit jours après Pâques). Les variations du Carême et de Pâques obligent donc à fixer le mallus en mai, cela tombe bien puisque saint Pancrace est fêté le 12 mai.

A cette origine historique vient se mêler la dimension religieuse : le Séchier possède une chapelle dédiée à Saint Pancrace, patron des chevaliers d’où cette relation à cette assemblée du mallus, à la fois tribunal et assemblée politico-militaire. À l’intérieur de cette chapelle, un tableau le représente avec une épée et une cuirasse. Pancrace était renommé pour la sévérité de ses punitions en cas de mensonge (possession démoniaque ou mort instantanée). Grégoire de Tours précise que si quelqu’un prête un faux serment sur le tombeau de Pancrace, il tombe sur le pavement et meurt sur le champ.

Revenons à notre Mal qui prend dans ce cas le nom de mallberg, le lieu du jugement. Le mallus pouvait se faire dans un champ (ce que le cadastre de 1811 semble encore indiquer). On trouve localement d’autres exemples, à Corps, l’oratoire de Saint Pancrace est dominé par le terroir de Malmort… On peut également traduire la finale mort  par « mur » comme c’est le cas à La Mure (l’enceinte qui protège la ville). Reste un lieu près du château des Herbeys qui porte le nom de Malbelly, mais l’enquête est encore à mener…